Ils sont issus du monde associatif, du secteur public, de l’entreprenariat. Leurs points communs : porter un projet à impact positif et le faire en s’appuyant sur une vision inspirante de la communication digitale. Chaque mois, la Maison 6 leur donne la parole !

[INTERVIEW] Sainte Naïké : « Sur les réseaux, je montre les secrets de mon art-couture ! »

Dans son grand atelier situé à Béthune, dans le Pas-de-Calais, Naïké crée des vêtements pas ordinaires, aux couleurs revigorantes. Défilés de mode en plein air, projets avec les habitants de sa région, cette étonnante « artiste-couturière » est aussi très présente sur Facebook et Instagram. Elle aime y dévoiler les dessous de ses processus créatifs, tout en créant du lien avec ses nombreux followers.

Bonjour Naïké Louchart ! Avec votre marque Sainte Naïké, on vous décrit souvent comme « créatrice de mode ». Vous approuvez ?

C’est vrai, on me classe souvent dans cette catégorie mais je trouve ça un peu dommage, parce que j’ai vraiment une approche globale de la création. En réalité, je fais des choses très diverses : de la mode mais aussi des œuvres d’art. Mon truc, c’est de faire des vêtements, puis des créations dans lesquelles je recycle toutes mes chutes de tissu. Avec mes chutes, je fais par exemple beaucoup de grands tableaux de fleurs.  La formule qui désigne le mieux mon travail, c’est « art couture ». Je veux habiller les gens mais aussi exposer dans des musées. Un de mes rêves, ce serait d’organiser un défilé dans une salle décorée par moi-même, en utilisant les chutes de tissu des vêtements présentés.

"Petite je cousais déjà des robes pour mes Barbie avec des tissus de récupération…"

Qu’est-ce qui vous inspire ?

Je suis hyper attentive à tout ce qui m’entoure, dans la rue, pendant mes voyages, dans les magasins, partout ! Lorsque je vivais au Brésil, j’ai été très marquée par l’omniprésence du plastique, et en particulier par ces bouchons de toutes les couleurs qui traînaient partout dans les rues. Aujourd’hui c’est une matière que je travaille énormément. Ces bouchons, je les fonds pour en faire des fleurs. Ce qui retient mon attention, ce qui m’inspire le plus, ce sont les tous petits détails dans ce genre. Une petite forme sur un tableau ou une œuvre, un grain de peau, une cicatrice, des mains, la posture d’une personne. Je ne me prépare jamais, je ne calcule rien. Ce qui m’inspire et qui me surprend à chaque fois, c’est ce que Duchamp aimait appeler les « beautés d’indifférence ».

Quand vous êtes-vous décidée à vous lancer dans l’ « art couture » ?

Pas facile de répondre à ça, car j’ai l’impression de porter ce projet depuis toujours. Quand j’étais petite je cousais déjà des robes pour mes Barbie avec des tissus de récupération… ça vient vraiment de loin. En tout cas, mon existence « officielle » date d’octobre 2018. Pas très longtemps après, ça a décollé fort : j’ai été sollicitée par l’Office de Tourisme pour faire un défilé de mode au stade parc de Bruay la Buissière, qui borde la célèbre piscine art-déco. Ce projet, j’ai travaillé dessus avec acharnement, pendant près de 4 mois. J’ai tout fait moi-même de A à Z. Créer, piquer, trouver les mannequins, faire les essayages, les retouches… C’était fou, et ça a été un beau succès public !

Ensuite, vous avez habillé une personnalité aux mensurations particulières… Une géante du Nord !

Oui, dans la foulée on est venu me chercher pour un projet hors du commun : réaliser la tenue de Mireille, la nouvelle géante de la Cité des Electriciens, toujours à Bruay la Buissière. Mireille, c’est une femme de mineur, mais moi je voulais faire quelque chose de vraiment différent, qui ne ressemble pas aux tenues traditionnelles des géants du Nord. Je voulais du jamais vu ! Et j’ai eu beaucoup de chance, parce qu’on m’a laissé une liberté totale pour imaginer cette tenue géante comme je le voulais. Pour la réalisation, j’ai notamment travaillé en atelier avec des habitants de Bruay. Ensemble, on a cousu des milliers de fleurs pour la jupe de Mireille. C’était un beau défi pour moi, parce qu’au-delà de la couture j’ai appris à être pédagogue, et veillé à transmettre ma passion pour le projet.

Photos Christian Vicq et Naïké Louchart

"Un petit mot bienveillant sur Instagram ou Facebook, et hop, mes doutes sur mon travail s’envolent !"

Dans le contexte sanitaire actuel si difficile, comment utilisez-vous les réseaux sociaux ?

Mes réseaux me permettent de garder une certaine visibilité, et de continuer à avoir du soutien de la part des gens. C’est vraiment très important en ce moment. Je suis présente sur Facebook et Instagram et y poste des stories tous les jours. Mes abonnés sont nombreux à réagir, ils m’envoient des mots gentils qui me font énormément de bien. Je ne convertis pas énormément : les gens qui me suivent n’ont pas nécessairement les moyens ou l’envie d’acheter et de porter mon travail. Je comprends ça parfaitement et à mes yeux, l’essentiel n’est pas là. Il est dans le lien que nous avons. Ce que je vois, c’est que lorsque j’ai des doutes sur mon travail, ils s’envolent très vite. Un petit mot bienveillant peut illuminer ma journée, et j’adore les réseaux pour ça. Je dois avoir beaucoup de chance car je n’ai quasiment jamais attiré de personnes mal intentionnées.

Les réseaux sociaux vous permettent de montrer les « dessous » de votre travail. Ne craignez-vous pas que ça brise un peu le mystère, la magie de la création ?

Non, je n’y pense même pas. C’est au contraire une revanche pour moi. Petite, une de mes grandes frustrations était de ne pas pouvoir découvrir les process de fabrication des créateurs dans les ateliers. Aujourd’hui je me « venge » en montrant tout ça aux autres. Je montre mon quotidien et mon travail de créatrice au jour le jour. Depuis les étapes de création d’une jupe aux invasions de hérissons dans mon atelier en passant par la musique que j’écoute en travaillant, je partage énormément de choses. Je crois même que j’adorerais avoir une live-cam au milieu de l’atelier. Mes abonnés pourraient s’y connecter quand ils ont envie pour voir ce qui se passe chez moi !

Vous recyclez énormément. Sans doute pas uniquement par souci d'économie ?

Non, bien sûr. Depuis toute petite j’ai été éduquée avec une valeur de base : ne pas gâcher ! Aujourd’hui, c’est devenu une norme pour beaucoup de gens, on appelle ça l’upcycling ou le zéro déchet. Moi ça m’accompagne depuis toujours. Je déteste jeter, donc je recycle au maximum. Mes patrons de couture, je les coupe dans les boîtes de céréales terminées par mon fils. Je ne jette absolument aucune chute de tissu. D’abord parce que j’essaie toujours de concevoir des vêtements qui m’évitent de produire des chutes quand je coupe. Bon, à côté de ça, je ne suis pas toujours sûre que les tissus que j’utilise sont vraiment éco-responsables. Il est fort possible que parfois, les conditions de fabrication de ces tissus ne soient pas idéales. Pour le tulle par exemple, c’est compliqué. Donc mon engagement à moi, il passe beaucoup par le fait d’utiliser cette matière en totalité. Je ne produis aucun déchet. Je crois que je dois vider ma poubelle d’atelier deux fois par an.

"La société est diverse... donc les femmes qui défilent pour moi le sont aussi !"

Autre particularité de votre travail : la diversité des femmes qui défilent pour vous…

Pendant très longtemps dans le monde de la mode, les mannequins ont toutes eu la même morphologie. C’est quelque chose qui change petit à petit et c’est vraiment une bonne nouvelle. Pour mon défilé à Bruay la Buissière, j’ai fait appel à des femmes de tous les âges, de toutes les origines, avec toutes sortes de morphologies. Julie, Catherine, Djana, Eléonore… Je les ai repérées un peu partout : dans mon cercle amical, dans des cafés, à la caisse chez Auchan… Pour moi c’était une évidence de travailler comme ça : la société est diverse, et on a besoin de voir et de mettre en valeur toutes les personnes de la société. Et mettre un mot là-dessus, comme ce mot de « diversité », ça singularise cette approche, qui devrait être normale et naturelle partout et pour tout le monde. On a bien vu à quel point ça ne l’était pas au moment de mon défilé : le public a été très surpris et ne s’attendait absolument pas à voir ce qu’il a vu. En plus mes mannequins d’un jour riaient, souriaient, dansaient… incroyable !

Photos Naïké Louchart, Christian Vicq, Sabrina Napinski

Quelles sont vos projets pour l'avenir ?

Je rêve de surprendre les gens là où ils sont, en organisant des défilés sauvages, dans des galeries marchandes ou dans la rue. J’ai aussi envie de montrer mon travail dans des lieux d’exception comme la Villa Cavrois (à Croix) par exemple… Je fourmille de projets et d’envies, mais le Covid est passé par là. Quasiment tout s’est arrêté pour moi depuis début 2020. J’y crois toujours, je continue. Je n’arrêterai jamais mais je ne vais pas faire semblant que tout est rose. Tous les jours je travaille, je produis, mais ma situation est difficile. Depuis quelques temps, je cherche ce que je pourrais inventer de nouveau pour présenter mon travail et continuer à vivre. Je n’ai pas encore trouvé mais ça viendra !

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